Le lancement de la Dreamcast en Europe: un mois d'octobre en bleu
Il y a 25 ans, la Dreamcast sortait en Europe après un lancement réussi aux États-Unis 1 mois plus tôt (la cultissime date du 9/9/99). Le premier jour du lancement américain avait battu tous les records, non seulement pour la sortie d'une nouvelle machine de jeu vidéo mais aussi pour n’importe quel marché du divertissement. SEGA of America en était fier. Sur son territoire, SEGA Europe souhaitait réitérer l'exploit réalisé outre-Atlantique par ses confrères. La Dreamcast allait enfin être disponible dans le monde entier, tout le monde sans exception allait pouvoir en profiter !
Pour l'occasion, le logo orangé des Dreamcast japonaises et américane faisait place à un logo bleu. Les packaging des jeux et des consoles avaient été adapté pour le marché euroépen et ce changement de couleur. Le modem 56 Kbps des Etats Unis, lui, étaient remplacé par un appareil de moindre vitesse, à 33, 6 Kbps comme au pays du Soleil Levant. Le vieux continent se parairaissait de bleu ! La tant attendue dernière console de SEGA pointait enfin le bout de son nez dans les derniers gros marché qui lui restait à conquérir !
La fonctionnalité du 60 Hz PAL est entrée dans le lexique du développement d'un jeu vidéo avec la sortie de la Dreamcast en Europe. L'un des membres du support technique de SEGA Europe, Elton Bird, avait fait pression pour que ce soit inclus dans tous les titres PAL. Il avait démontré au responsable de SOE que le signal 60 Hz n'endommageait pas les téléviseurs 50 Hz.
Son prix de lancement était fixé à 1 690 francs en France et 200 livres sterling au Royaume-Uni, soit 257 € après conversion aux taux actuels. Au fil des années, il baissera. A la fin du mois novembre, la console s'était vendue à 400 000 exemplaires pour s'établir à 500 000 Dreamcast écoulées à Noël 1999. Cet excellent résultat avait été atteint avec 6 mois d'avance sur les prévisions. Loin des chiffres américains et ses 372 000 unités ayant trouvé preneur en un jour, la sortie européenne de la Dreamcast suscitait l'intérêt des consommateurs. Tout allait parfaitement bien en Europe pour le constructeur japonais, qui passa même devant Nintendo et sa Nintendo 64 en part de marché. Hélas, ça ne durera pas...
Contrairement au lineup du lancement de la Dreamcast au Japon, seulement quatre jeux étaient disponibles (Virtua Figther 3tb, PenPen, Godzilla Genrations et July), celui de la sortie Européenne de la console était conséquent, varié, réfléchi et qualitatif. De tous les styles, genres, types et thématiques, treize jeux attendaient les joueurs les plus impatients de découvrir la première console de sixième génération de l'histoire :
Millenium Soldiers - Expendable
Incoming
Monaco Grand Prix Racing Simulation 2
Power Stone
Speed Devils
Trick Style
Dynamite Cop
Ready 2 Rumble Boxing
Pendant des mois, des années, des jeux prestigieux (Shenmue, Rez, Jet Set Radio, etc.) arriveront régulièrement et la Dreamcast se vendit correctement. Malgré tous les efforts entrepris (partenariat avec des équipes de foot dont Saint-Étienne ou Arsenal), SEGA ne parviendra jamais à atteindre l'équilibre financier. Les coûts de fabrication de la console étaient peut-être trop importants. La suite tout le monde la connaît...
Pour que la Dreamcast soit rentable, SEGA avait besoin de vendre 2,9 jeux par console vendue. Lorsque la société au hérisson bleu annonça son intention d'arrêter la commercialisation de la DC, de se retirer du marché des constructeurs et de devenir un éditeur à part entière, le constat était de 2,7 jeux par consoles vendues.
Anne Morvan et l'équipe de foot de St Étienne (partenarat marketing)
L'emprunte de la Dreamcast dans l'industrie est indéniable, que ce soit dans le cœur des fans du hérisson bleu et des développeurs. Elle demeure, toujours, un exemple de savoir-faire de par sa conception et la qualité de ses jeux légendaires.
La préparation du lancement Européen
Tout devait être parfait pour SEGA of Europe afin que le 14 octobre 1999 reste dans les mémoires. Cette journée exceptionnelle devait être marquée d'une pierre blanche. En coulisses, tout le monde s'agitait et ne savait plus où donner de la tête pour être fin prêt le jour J. Les préparatifs d'un lancement d'une nouvelle console prennent des mois, voire une année. Chez SEGA France, les choses s'emballèrent dès avril de la même année.
Un bulletin de livraison avec l'expéditeur EMI
La production : SOE prévoyait de recevoir les premiers jeux produits pour le mois d'août 1999. L'usine hollandaise "EMI Compact Disc" tournait à plein régime pour y parvenir. Comme il n'était pas prévu que le fabricant de disques compacts les stocke et pour éviter des coûts de manutention supplémentaires (le principe du Just In Time), une fois les jeux produits, ils étaient directement acheminés vers leurs destinations finales, les principaux dépôts des pays européen. Des mois durant, un flot incessant de camions parcouraient les routes de l'Europe pour alimenter le réseau de SEGA !
Le SAV : Le service après-vente commandait par bateau ou par avion, à travers le monde, des milliers de pièces de rechange pour être prêt à réparer, dans les plus brefs délais, les premiers modèles défectueux de console. Au lancement de la Dreamcast, les consoles défaillantes étaient souvent remplacées par des neuves pour ne pas décevoir les consommateurs et les faire patienter plus que de raison. Les prévisions de SEGA France, pour l'année 1999, étaient de 3771 retours de consoles sur 220 000 vendues. Pour résoudre leurs problèmes, des procédures de détection de panne à suivre scrupuleusement étaient mises en place avec un personnel missionné pour les détecter !
Prévision des pannes et ventes 1999
Matériel publicitaire
Le mobilier promotionnel de SEGA : Des bornes de démonstration Dreamcast devaient impérativement être acheminées par des entreprises de transport mandatées par SEGA vers les magasins avant le lancement de la console. Les chauffeurs étaient formés par l'entreprise japonaise pour le montage des meubles et la connexion du matériel. Comme elles étaient la plupart du temps prêtées pour une durée déterminée, chez SEGA, des employés organisaient leurs livraisons, leurs mises en place, leurs suivis et leurs enlèvements. En France, durant la courte existence de la console, il y avait entre 1500 et 3500 Displays Dreamcast en turnover.
Le stockage : Au niveau du stockage, l'objectif du pré-lancement était de remplir les dépôts pour qu'ils ne manquent de rien. Chaque pays possédait son propre entrepôt centralisé. Les logisticiens recevaient des marchandises de toute sortes comme des jeux manufacturés en shipping box, des pièces détachées pour le SAV, des meubles de démonstration Dreamcast, des objets publicitaires, etc, etc.. Ensuite, ils contrôlaient leurs états et si la quantité était conforme aux bulletins de livraison, les stockaient puis les entraient dans le système informatique de l'entreprise. Enfin, ils préparaient les commandes de la clientèle de SEGA. Une fois prêtes, des transporteurs les dispatchaient vers les différents points de vente du territoire. L'échéance du lancement de la Dreamcast approchant, les quantités commandées devenaient de plus en plus considérables.
Deadstock de claviers oubliés dans un container maritime
De futures pièces détâchée à stocker
The SEGA Europe Custom Care Service Centre: Ce basant sur le nombre d'appels reçus lors du lancement de la Saturn, SEGA of Europe comptait recevoir 150 appels par heure pour l'Angleterre (47 % des appels), 90 pour la France (28 %), 50 pour l'Allemagne (16 %) et enfin 30 pour l'Espagne (9 %). Une équipe expérimentée répondait aux demandes des clients entre 8 h et 20 h. Les jours fériés, les samedis et les dimanches, les téléphonistes ne travaillaient qu'entre 10 h et 18 h. Tout devait être opérationnel pour le 14 octobre 1999.
Le Marketing : En amont du lancement de la console, le département marketing s'efforçait de promouvoir la marque Dreamcast en organisant des événements particuliers, que ce soit au bord de la mer durant des compétitions de surf, pendant des concerts, lors de matchs de foot et même au sommet des pistes de ski en after-ski. Les chaînes de magasin recevaient des brochures, des fascicules, des VHS, etc. leur vantant, et expliquant à leurs clients, la vision de SEGA et de sa Dreamcast.
NightLoop Dreamcast Launch VHS
Le développement des jeux : Les studios de développement envoyaient des versions non finalisées aux sièges des différents SEGA d'Europe. Après contrôle de certaines normes, elles étaient ensuite dupliquées pour être expédiées à la presse spécialisée. Sans que la console ne soit encore disponible en Europe, les journalistes pouvaient déjà donner leurs premières impressions sur les futurs jeux du lineup PAL.
Les commandes de boitiers antivol
La vente : Afin que tout soit prêt jusque dans les magasins, SEGA FRANCE proposait un service supplémentaire à leur client non inclus dans leur prix de vente. S'ils le désiraient, ils pouvaient se procurer des boîtiers anti-vol et être livrés, avec leur commande standard, juste avant le lancement de la Dreamcast. Des Mockups, des jeux manufacturés sans disques et parfois sans manuels, garnissaient déjà les rayons avant même que la console ne soit disponible.
Des milliers de personnes, toutes professions confondues, se sont données corps et âme pour préparer le lancement de la Dreamcast, tout d'abord au Japon, ensuite aux États-Unis et enfin en Europe.
Son lancement en Europe
Pour faire connaître la Dreamcast avant son lancement officiel prévu initialement le 23 septembre 1999 mais finalement repoussé au 14 octobre, SEGA avait privilégié des opérations ciblées par pays. La firme japonaise fut étonnamment absente de l'édition de l'ECTS 1999 qui s'était déroulée du 5 au 7 septembre. Elle se rattrapera avec la soirée de lancement européenne au Commonwealth Institute de Londres. Le big boss de SEGA, Shoichiro Irimajiri, des acteurs d'Austin Powers 2 et d'autres stars s'étaient déplacés pour l'occasion. Les invités, triés sur le volet, avaient reçu leur invitation sous la forme d'une VMU avec un mini-jeu (BASH !) conçu spécialement pour l'occasion. Pour la soirée française du lancement de la console, un carton d'invitation ayant la forme d'un ordre d'affectation ressemblant à la convocation au Service Militaire, leur avait été remis.
Elton Bird (Software Engineer) : « BASH ! était un jeu de démonstration VMU que j'ai mis à jour avec un traqueur de High Score et j'ai ajouté les informations sur la soirée de lancement sur un écran titre. Il a été envoyé aux personnes que nous invitions, et la personne qui a obtenu le meilleur score de la soirée a gagné une Dreamcast. »
Carton d'inviation de SEGA FRANCE
Le mini-jeu BASH
Hors sujet : Elton a également conçu une autre application VMU destinée à une course organisée par RedBull autour de Londres, entre skateurs, BMXistes et éventuellement des vététistes. Les organisateurs souhaitaient garder le secret sur l'itinéraire. Au départ de l'événement, chaque concurrent recevait une carte mémoire Dreamcast qui affichait l'endroit à rallier. A chaque point de contrôle franchi, ils branchaient leur VMU sur celui du responsable (VMU-VMU connexion) du point de passage pour connaître la destination suivante et ainsi de suite. Ce mini-jeu est considéré comme perdu et reste encore à trouver.
Elton Bird « Ce n'était qu'un gadget marketing, mais ça a bien fonctionné le jour J, et RebBull m'a envoyé une énorme boîte de boissons pour me remercier ! »
L'acteur du légionnaire posant devant la pancarte du Virgin Megastore 25 ans après
En France, il y a eu deux lancements distincts (pas le même jour). Les VIP étaient invités au salon France Amérique tandis que la soirée de lancement ventes se passait au Virgin Champs-Élysées. Le Virgin Megastore de Paris avait accueilli pour l'occasion Rocco Siffredi pour signer des autographes. Les heureux acheteurs d'une Dreamcast avaient peut-être la chance de repartir avec une console dédicacée par la star du X. Fallait l'appeller pour le lancement du "broad" bande ! C'était aussi la fête avec la présence des boss de SEGA France. Une affiche géante aux couleurs de SEGA décorait la devanture du magasin. Une immense pancarte avec le légionnaire des publicités Dreamcast trônait, elle, fièrement à l'entrée.
S'il était tout à fait possible de se connecter au service Dream Arena (le portail internet de la Dreamcast) avec le disque Dream Key, les services Online n'était pas opérationnels comme promis. Chaque pays ayant sa propre législation, c'était un véritable casse tête pour SEGA afin proposer publiquement ce service le jour du lancement de la console en Europe. Il faudra attendre plusieurs mois, fin mai 2000, pour que les premiers jeux Online arrivent dans les mains des joueurs.
Costume portée par une hôtesse d'accueil pour le lancement français de la Dreamcast
Il aurait été possible de faire marcher, dès la commercialisation de la Dreamast, le réseau en ligne partout en Europe depuis l'Angleterre. SEGA France, par exemple, avait des solutions avec SFR qui relayait pour BT. Une ferme Relay était implantée dans chaque région. La Suisse aurait pu se connecter sur l'Est de la France.
La matin du jour du lancement de la Dreamcast en France, le réseau Internet ne fonctionnait pas. Quatre allers-retour entre Paris et Londres, en affrêtant un jet privé, avaient été nécéssaires pour résoudre les problèmes auprès de l'opérateur téléphonique anglais BT. Heureusement, tout est rentré dans l'ordre et les consoles purent se connecter à Dreamarena à 21 h. Le manque à gagner du lancement raté de la Dreamcast aurait coûté plus cher que la location d'un avion.
La Dreamcast a laissé un héritage dont la plupart des machines seraient fières. Même 25 ans plus tard, peu de machines éveillent encore autant d’émotions chez ses fans comme elle. Son histoire, écrite jour après jour, ne cesse de surprendre
Archive de photos du lancement de la Dreamcast à Londres
Les photos d'époque sont plus rares que des prototypes de jeux vidéo et pourtant bien plus importantes. Peu nombreuses étaient les personnes qui en prenaient. Contrairement à aujourd'hui et aux téléphones portables à portée immédiate de mains, on ne se promenait pas tous avec un appareil photo dans nos poches, si toutefois nous en avions un !
Tout porte à croire que les boxeux Lennox Lewis et Chris Eubank avaient adoré joué à Ready 2 Rumble Boxing. Aux anges, Verne Troyer, lui, posait à côté d'une jolie brune. Le clou du spectacle n'étaient pas les star qui foulaient le tapis bleu du Commonwealth Institute de Londres mais la Dreamcast présentée par Shoichiro Irimajiri !
Cette archive photo provient de la page Facebook "Dreamcast (UK/EU)"
Quelques photos de l'équipe de SEGA France lors du lancement de la console
Trouver des photos vintage d'événements particuliers pour les contextualiser est compliqué. Si elles existent, ce sont souvent des photos privées non destinées à être partagées en public. Le problème est le droit à l'image, peut-être que tous les protagonistes ne seraient pas d'accord pour que tout le monde puisse voir une photo d'eux.
L'équipe de SEGA France était une grande famille où ils avaient le sentiment de travailler avec des collègues merveilleux. Ces photos de la soirée de lancement de la Dreamcast en France le prouvent. Après plusieurs mois à préparer la sortie de la console dans l'Hexagone, ils pouvaient enfin se lâcher, souffler et décompresser. Une nouvelle page de l'histoire de SEGA était en train de s'écrire sous leurs yeux.
Ces photos, quelques-unes sont des Polaroïds, ont été partagées par Anne Morvan sur son compte Facebook. Elle était directrice de la communication pour SEGA France. Avec son accord, elles peuvent figurer dans cet article.
Remerciements :
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à Hick pour la traduction français de l'article.
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à Anne Morvan pour les photos de SEGA France